J’y étais : Saez, à Brest Arena

     Damien Saez revient en 2017 avec « Le Manifeste », un projet musical et artistique de moins en moins flou mais qui reste complexe. J’avais tenté de comprendre cela à l’annonce de sa tournée. Cette oeuvre se déploie au fur et à mesure lors des concerts que donne Saez depuis le début du mois de mars. Je suis allé voir ce que cela donnait, ce samedi, à Brest.

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     Après une heure de retard par rapport à l’horaire annoncé sur le billet, les lumières s’éteignent, un rideau tombe. Pendant ces soixante minutes, jamais je n’avais vu autant d’impatience et d’excitation sur les visages attentifs à l’entrée de la bête. Sur ce rideau, un film est projeté, il dure cinq minutes environ et nous présente une jeune fille, assise sur un lit, adossée au ciel avec un tee-shirt à l’effigie de Johnny Cash. Elle nous parle de Pierrot sur la Lune, des étoiles, des fantômes auxquels elle croit et pense qu’ils sont nous-mêmes puis de son père à qui elle n’a pas eu le temps de tout dire. Damien arrive pendant la projection, au piano, sans un mot. 

     Les applaudissements font beaucoup de bruit à la fin de ce premier morceau. Le groupe arrive : un batteur, un accordéoniste, un bassiste et trois guitaristes dont Alice Botté, guitariste de Bashung, Daniel Darc ou plus récemment Thiéfaine. Le concert commence « réellement » avec des chansons du dernier album comme Les enfants paradis ou d’autres, plus anciennes, que les spectateurs entonnent avec lui, à l’image de Putain vous m’aurez plus

     Les chansons s’enchaînent, les clopes et les verres de whisky-coca aussi. Une entracte, cela fait parti des originalités qui font d’un concert de Saez quelque chose d’à part. Le rideau tombe à nouveau, cette fois-ci ce sont des textes qui sont projetés : sept ou huit pages de dénonciation du capitalisme, du fascisme qui se propage sur les réseaux sociaux. La haine qu’entretient Damien Saez avec Facebook, Twitter et les autres est à son paroxysme. Quelqu’un pourrait lui signaler que, lui aussi, possède un Facebook…?

     Après cette pause, les artistes reviennent en force ! Ils sont partis pour presque 2h de rock comme Saez l’avait promis au début du spectacle « on va voir si ça pogotte un peu après, il va falloir mettre de l’énergie ». En effet, les pogos s’enchaînent sur les meilleurs titres de l’album J’accuse : Des p’tits sous, Pilule, J’accuse. La dénonciation continue avec Fils de France où Damien change un peu ses paroles : « Au pays des aveugles, les borgnes sont rois » est remplacé par « la fille du borgne est reine ». Pendant cinq minutes, il tient un discours sur le riff de Marianne et enchaîne avec la chanson. Tout cela toujours bien arrosé et enfumé. Il rappelle plusieurs fois ses origines algériennes, de part sa mère, à travers les mentions de noms arabes. Ce mélange de contestation politique « ceux qui savent lire sont dominés par les idiots » et de mixité sociale me fera penser à cette réflexion de Damien « Tu te retrouves avec une éducation bourgeoise, livrée par des gens qui sont l’opposé des bourgeois. Résultat : tu deviens hybride, avec la rage de l’immigré, une certaine forme de dialectique et une gymnastique de la pensée très élaborée. Tout ce qu’il faut pour ne jamais être victime de la pensée des autres. ¹ » Des titres plus neufs arrivent aussi : Peuple manifestant, Mon terroriste mais aussi Rue d’la soif pendant laquelle Saez remarque « vous aimez bien l’accordéon hein ! ». 

     « Il n’est rien de plus beau que d’aimer l’autre, bien plus qu’on s’aime soi ». Damien Saez fait trois rappels au total lors de cette soirée et les grandes chansons qui composent l’oeuvre du chanteur sont présentes : Ma petite couturière, Marie ou Châtillon-Sur-Seine qui rappelle les influences rimbaldiennes de Damien. Malgré les trois heures de concert passées, les cigarettes et les verres, la voix reste la même : toujours aussi nette, aussi impeccablement belle. Heureusement puisque s’en suivent J’veux qu’on baise sur ma tombe ou Tu y crois qui clôture la soirée.

     « Faut faire plaisir aux filles et comme je ne sais pas bien lécher, je fais des chansons » lançait Saez, la veille, à Nantes. Ce soir, il n’a pas fait plaisir qu’aux filles. Il était très grand, une énorme claque. Quatre heures de concert, du rock, du punk, des « berceuses » comme il les appelle, de l’accordéon, de l’émotion. « Je comprends pas trop encore ce qui vient de se passer mais c’était fou », voilà qui résume tout. 

 

¹ Damien Saez, à corps et à cris ; de Romain Lejeune